HAUSSMANN 2.0, UN PARIS RESILIENT

HAUSSMANN 2.0, UN PARIS RESILIENT

Interview Paris Match - Vincent Callebaut

Paris 2023

France








HAUSSMANN 2.0, UN PARIS RESILIENT, VERDOYANT ET RESPIRANT, par Vincent Callebaut Architectures

Interview Paris Match, Janvier 2023, Paris

1. PM : Les bâtiments haussmanniens donc anciens sont parmi les plus énergivores. Est-ce le point de départ de votre réflexion pour imaginer leur « réactualisation » ?

VCA : Dans la continuité du plan « Paris Smart City 2050 » que nous avons développé en 2014 pour la Mairie de Paris et les Services de l’Ecologie Urbaine, notre ambition est de mener un travail de réflexion et de recherche en profondeur sur l’intégration d’immeubles à énergie positive (BEPOS) et solidairement producteurs d’énergie pour les quartiers où ils sont implantés. Afin de lutter contre les effets d’îlots de chaleur urbains tout en densifiant la ville durablement, nos prototypes rapatrient la nature au cœur de la cité et intègrent dès leur conception les matériaux bio et géo-sourcés, les règles du bioclimatisme et les énergies renouvelables pour répondre au mieux aux objectifs de neutralité carbone que la Ville de Paris s’est fixés pour 2050. 

Vers de nouvelles innovations sociales, nos architectures écologiques désirent avant tout répondre aux aspirations des citoyens de s’adapter au dérèglement climatique en adoptant de nouveaux modes de vie éco-responsables dans le respect de l’environnement. De 1853 à 1870, le baron Haussmann a dirigé les transformations de Paris, durant le Second Empire sous l’égide de Napoléon III, en approfondissant le vaste plan de rénovation établi par la commission Siméon. Les transformations sont telles que l'on parle de bâtiments « haussmanniens » pour les nombreux édifices construits le long des larges avenues percées dans Paris sous sa responsabilité, les travaux réalisés ayant donné à l'ancien Paris médiéval le visage qu'on lui connaît aujourd'hui.  Haussmann souhaitait instaurer une politique facilitant l'écoulement des flux, aussi bien de population, de marchandises que d’air et d’eau, convaincu par les théories hygiénistes héritées des Lumières et qui se sont diffusées à la suite de l’épidémie de choléra de 1832. 

Cette campagne fut intitulée « Paris embellie, Paris agrandie, Paris assainie ». En 2023, sur la base du « Plan Climat-Air-Energie », notre équipe d’architectes continue d’explorer via les nouveaux outils d’intelligence artificielle le concept de solidarité climatique et énergétique entre les bâtiments haussmanniens énergivores et les architectures biomimétiques à énergie positive inspirées aussi bien par les formes que par les structures et les boucles de rétroactions écosystémiques. 


 2. PM : Que signifient « les boucles de rétroactions écosystémiques » dans une optique d’énergie positive ?

VCA : En urbanisme, le meilleur déchet est celui que l’on ne crée pas ; le meilleur bâtiment est celui que l’on ne démolit pas mais que l’on rénove respectueusement en travaillant avec le « déjà là ». Notre objectif est donc de mettre en œuvre l’économie urbaine circulaire du 21ème siècle. A l’inverse de l’économie linéaire qui fait en sorte que tout ce que nous produisons et consommons soit transformé en déchet en créant de la pollution, de la dette et des inégalités sociales tout en épuisant les ressources fossiles, l’économie circulaire propose que tout ce que nous produisons soit recyclé et/ou recyclable en misant sur la solidarité des filières économiques locales en boucles courtes et vertueuses.  

Cette économie dite « régénérative » se base sur les matériaux naturels et les énergies renouvelables et propose de transformer tout déchet en ressource réutilisable à l’infini. Dès lors, le Paris biomimétique de demain fonctionnerait comme un écosystème à l’image par exemple d’une forêt primaire qui n’émet aucune pollution et aucun déchet. Les quartiers se transformeraient en forêt et les bâtiments en arbres habités produisant leurs propres énergies (électrique, calorifique, alimentaire) grâce aux énergies renouvelables et recyclant leurs déchets en ressources comme le recyclage des eaux grises en eau d’irrigation pour les jardins suspendus.


3. PM : Quel est le concept d’ « Archibiotic » ?

VCA : « Archibiotic » est un néologisme qui a donné son nom à notre première monographie d’architecture publiée en 2008 par l’Université de Pékin. L’Archibiotic est la nouvelle discipline transdisciplinaire qui fusionnent les 3 vecteurs de l’architecture contemporaine : ARCHItecture + BIOmimétisme + Technologie de l’Information et de la Communication.  Ce concept s’inscrit dans la logique de la 3ème révolution industrielle, théorisée par Jeremy Rifkin, qui par la conjonction des énergies renouvelables et des TIC rend possible un urbanisme résilient post-carbone. 

Les architectures qui en découlent fusionnent le meilleur du Low-Tech et du High-Tech, depuis le concept des cheminées à vents assurant la ventilation naturelle des temples des pharaons jusqu’au façades d’algues vertes qui captent le CO2 atmosphérique pour le transformer en oxygène et synthétisent le rayonnement solaire en énergie par photosynthèse. A travers un dialogue sensible et contemporain, notre projet Haussmann 2.0 vise à préserver le patrimoine historique intrinsèque de la capitale française et à créer des ilots de fraicheur urbains en rapatriant la nature, la biodiversité et l’agriculture urbaine en permaculture au cœur de la cité. Ensuite, ces « Archibiotics » visent à intégrer massivement les énergies renouvelables permettant aux greffes architecturales contemporaines de produire solidairement l’énergie dont les bâtiments historiques ont besoin. C’est la solidarité énergétique et climatique !


4. PM : Votre projet utiliserait des matériaux inhabituels comme les micro algues, le béton de chanvre. Quels en sont les avantages et l’inconvénient. Comment baisser la signature carbone ?

VCA : Le projet Haussmann 2.0 vise la sobriété en énergie, en matières premières, en entretien et en maintenance. Il s’agit pour nous de construire mieux avec moins ! Nous travaillons sur 3 axes majeurs de sobriété :

1. La sobriété en énergie : À l’échelle du bâtiment, nous voulons construire des logements traversants sains et agréables à vivre sans ventilation mécanique ni climatisation, voire sans chauffage. Grâce à la ventilation naturelle, au rafraîchissement passif, à la récupération des apports de chaleur gratuits et à l’inertie thermique, la conception bioclimatique permet de réduire au strict minimum les consommations d’énergie, tout en assurant un confort accru.

2. La sobriété en matière : Matériaux biosourcés, géosourcés ou de réemploi sont privilégiés tant pour la structure du bâtiment que pour son isolation ou ses parements. Pour baisser au maximum leur empreinte carbone, ils sont soigneusement sélectionnés pour valoriser l’écosystème économique local et les circuits-courts. Bois lamellé croisé, laine de bois, béton de chanvre, béton bas carbone, terre crue et cuite, pierre massive structurelle, microalgues, paille, mycélium, tous ces matériaux naturels rentrent dans notre approche d’économie circulaire dite régénérative.

3. La sobriété en technique : La sobriété ne signifie pas une absence de technologie, mais le recours en priorité à des techniques non polluantes, non gaspilleuses, comme des mises en œuvre simples et des appareils faciles à réparer, à recycler et à réemployer. Comme le disait si bien William Shakespeare : « l’intelligence d’une ville réside d’abord dans celle de ses habitants ». La technologie est là pour implémenter le bâti en optimisant par exemple nos consommations d’énergie ou le partage intelligent de lieux de convivialité mutualisés.


5. PM : Expliquez-nous la façon dont vous avez utilisé les outils d’IA. Est-ce pour le rendu des images ? Pour calculer les performances énergétiques optimales, donc la conception architecturale elle-même ?

VCA : Au sein de l’agence, nous faisons partie de la nouvelle génération d’architectes qui ont grandi avec des outils de modélisation 3D de plus en plus puissants et performants. Cela nous permet de penser littéralement « out of the box », de concevoir des architectures aux géométries intelligentes inspirées du vivant (pour rappel l’angle droit n’existe pas dans la nature) et ensuite de construire ces projets organiques grâce aux logiciels paramétriques qui dressent des ponts technologiques vers l’usinage des matériaux et la réalisation sur chantier.  

Les outils d’IA aujourd’hui sont principalement utilisés dans l’élaboration des concepts en 2D. Mais on vit aujourd’hui une accélération de l’innovation qui nous permet dès à présent de générer des modèles 3D paramétrés en fonction des données climatiques (la direction des vents dominants et la course du soleil), sismiques et écosystémiques afin d’atteindre des performances structurelles et énergétiques optimales. De plus, ces modèles de simulation générés sur ordinateur sont dès aujourd’hui aptes à être imprimés en 3D, ce qui est en train de révolutionner la conception et la construction architecturale. Le futur s’annonce passionnant !


 6. PM : L’objectif d’un Paris neutre en carbone en 2050 semble, aujourd’hui, un objectif de science-fiction, tant les critiques autour d’une capitale dégradée sont nombreuses et les efforts de rénovation énergétique, lents. De votre point de vue d’architecte, grande force de propositions pour un urbanisme résilient, ne trouvez-vous pas que la France manque d’un réel élan dans ce domaine ?

VCA : L’objectif de neutralité carbone pour Paris en 2050 n’est pas du tout de la science-fiction, c’est un nouveau récit commun que les Français sont en train d’inventer ! En tant qu’architecte, c’est le fondement même de notre engagement professionnel de rétablir une juste symbiose du couple Homme-Nature, de concevoir des architectures bio-inspirées qui misent sur le haut degré de technicité du savoir-faire français, de son artisanat et de son industrie de pointe.  

Cette volonté d’inventer un urbanisme résilient, à échelle humaine, imaginé pour et en concertation avec les Parisiens, pourrait d’ailleurs s’inscrire dans une nouvelle campagne intitulée « Paris résilient, Paris verdoyant, Paris respirant ». Aujourd’hui, il faut dépasser les stratégies politiques partisanes, qui ralentissent notamment la rénovation énergétique, pour atteindre cet objectif commun de résilience de nos territoires en créant par exemple une fiscalité incitative pour encourager la rénovation, le réemploi et l’emploi de matériaux biosourcés, pour développer les énergies renouvelables et décarboner l’industrie, et pour booster la mobilité douce et l’agriculture urbaine.




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