Vers un Futur Bio-Inspiré
Paris 2019
France
Vincent Callebaut se définit lui-même comme «Archibiotecte», néologisme mêlant architecture, biotechnologies et technologies de l’information et de la communication. Célèbre pour ses écoquartiers futuristes, il imagine des cités biomimétiques, végétales et durables capables d’affronter les catastrophes naturelles pour accueillir une civilisation plus résiliente. SUEZ est allé à la rencontre de ce visionnaire qui cherche à réconcilier l’être humain et son écosystème.
Contribution de Vincent Callebaut à Open Resource magazine by SUEZ
Comme le disait si bien le philosophe Gilles Deleuze, «Croire au monde c’est ce qui nous manque le plus, nous avons tout à fait perdu le monde. On nous en a dépossédé !». Dans une société en pleine révolution qui cherche à se réinventer, mon leitmotiv pour se réapproprier le monde durablement est de transformer les villes en écosystèmes, les quartiers en forêts et les bâtiments en arbres habités. Il s’agit bien de vouloir réparer la machine climatique et d’imaginer un urbanisme résilient capable de retisser la juste symbiose entre l’action des hommes et leur environnement.
Loin de notre civilisation énergivore basée sur une économie linéaire qui extrait des ressources limitées sur un territoire fini, qui produit et qui consomme massivement tout en générant de la dette, de la pollution et des déchets à foison, ma philosophie architecturale est de proposer des urbanismes qui mettent en place une économie circulaire faisant en sorte que tout ce qui est produit et consommé soit recyclable en circuits fermés en utilisant uniquement des énergies renouvelables.
Cette nouvelle économie dite « régénérative » est bio-inspirée par la symbiose qui s’opère au cœur de la forêt amazonienne. En effet, cet écosystème mature ne produit aucune pollution ou aucun déchet qui ne soit pas considéré comme une ressource naturelle réutilisable. De plus la forêt amazonienne utilise principalement la photosynthèse naturelle comme seule source d’énergie, elle ajuste toujours la forme à la fonction, elle mise sur la coopération entre les espèces et limite toujours les excès provenant de l’extérieur. Elle nous prouve donc que la Nature est notre meilleure alliée pour construire tous ensemble un futur désirable.
En s’inspirant des écosystèmes, une nouvelle civilisation post-carbone, post-fossile, post nucléaire et même post-insecticide devient envisageable !
Notre projet PARIS SMART CITY 2050 illustre comment le biomimétisme s’intègre dans une civilisation durable de l’architecture. Une architecture résolument imaginative qui se veut « out of the box » et propose une alternative à la construction standardisée, devenue hélas presque systématique, de cubes emboités les uns sur les autres (sachant que l’angle droit n’existe nulle part dans la nature). Ce plan d’urbanisme organique, développé à la demande de la Mairie de Paris et des services de l’écologie urbaine, propose en effet de métamorphoser le Paris gris, minéral et imperméable en un Paris vert, végétal et perméable. Bref, un Paris plus solidaire et moins vulnérable aux inondations, aux îlots de chaleur urbains et autres aléas climatiques.
Ce projet illustre ce que serait la capitale si on appliquait à la lettre le Plan Climat Air Energie de la Ville de Paris qui vise à réduire de 75% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. A l’inverse de la tabula rasa proposée au XXème siècle par Le Corbusier avec son plan voisin, j’ai développé avec mon équipe pluridisciplinaire un master plan qui propose de construite la ville sur la ville, en rapatriant la biodiversité, tout en gardant le meilleur de chaque époque pour construire notre avenir. Huit prototypes de villages verticaux viennent ainsi se greffer sur le tissu existant de la ville pour le densifier et lutter contre la gentrification et la muséification qui guette son patrimoine intrinsèque. Ces huit prototypes, aux formes enveloppantes et aux structures inspirées de la nature, mettent en place la solidarité énergétique entre les architectures haussmanniennes et contemporaines, ces dernières produisant toutes les énergies dont les premières ont besoin grâce aux énergies renouvelables et à l’agriculture urbaine.
Ainsi par exemple, le boulevard périphérique deviendrait le 21ème arrondissement de Paris afin de cicatriser cette plaie dédiée au tout à l’automobile séparant le centre historique de la banlieue. Ponctué à chaque porte de fermes urbaines, on y cultiverait une agriculture biologique à la verticale en appliquant les principes de la permaculture et de l’agroécologie. Cette nourriture saine serait distribuée en circuit court pour retisser le lien entre producteurs et consom’acteurs. Se recentrant sur le piéton, la petite ceinture ferroviaire serait quant à elle ré-ouverte au public pour y accueillir des potagers et des vergers partagés alors que ses tunnels seraient transformés en salle de sports, en marchés couverts ou encore en champignonnières. Enfin, les tours du XIIIème arrondissement seraient rénovées avec de nouvelles façades comestibles dont les potagers seraient soutenus par une façade double-peau tressée en bambou. En plein cœur historique, rue de Rivoli, des tours montagnes viendraient étager les meilleurs cépages des vignobles français autour de logements flexibles à loyer modéré tout en orientant leurs boucliers photovoltaïques vers le jardin des Tulleries pour optimiser leur efficacité énergétique.
Mon agence d’architectures fonctionne comme un think tank permanent où se croisent architectes, scientifiques et industriels dressant des ponts à l’international entre la R&D en laboratoire et la recherche appliquée sur chantiers.
Il y a dix ans, j’ai inventé par anticipation des villages flottants nommés « LILYPADS » et destinés à abriter les futurs 250 millions de réfugiés climatiques. Ces Lilypads sont inspirés de la structure radiale et concentrique des feuilles de nénuphars géants d’Amazonie présentant une plasticité remarquable appliquée à l’architecture navale. En 2009 également, j’ai développé le premier concept de ferme verticale « DRAGONFLY » en collaboration avec le M.I.T. pour étudier l’avenir de l’agriculture verticale qui vient étager des champs d’agriculture, des vergers et des potagers communautaires afin de nourrir biologiquement et en circuit court la ville de New York. Les serres de cette ferme géante sont superposées entre deux grandes verrières bio-inspirées par la structure microcristalline des ailes de libellule qui utilisent un minimum de matière pour porter un maximum de poids.
En 2019, je vais livrer une tour Feng Shui de 50 000 m² à Taipei, directement inspirée de la spirale de l’ADN, symbole d’harmonie et d’équilibre. Cette tour anti-sismique baptisée « TAO ZHU YIN YUAN » est en train d’être plantée sur toute sa hauteur avec plus de 23 000 plantes, arbustes et arbres. C’est une véritable forêt verticale, une architecture carbo-absorbante, dépolluante, capable de stocker 135 tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère de la capitale taïwanaise. Elle intègre des cheminées à vent pour se réguler thermiquement sans un seul kilowatt comme le fait une termitière. De plus, elle produit une bonne partie de son énergie grâce à sa toiture photovoltaïque et thermique. C’est l’exemple même de l’arbre habité produisant sa propre énergie et recyclant ses propres déchets.
Aux Philippines, nous développons actuellement le NAUTILUS ECO-RESORT, un centre d’apprentissage biophilique « zéro-émission, zéro-déchet, zéro-pauvreté ». Ce projet envisage ce à quoi ressemblerait un tourisme résilient capable de revitaliser un écosystème souillé par le tourisme de masse. Son objectif est d’accompagner avec humilité les populations locales à mettre en pratique des mesures urgentes pour instaurer des aires marines protégées de la pêche, pour les protéger des fortes inondations, des glissements de terrains et des typhons, pour rétablir la gestion des déchets et pour revitaliser leur biodiversité. Toutes les constructions utilisent les déchets recyclés localement pour être imprimées en 3D grâce à des robots-imprimantes fabriquant des surfaces mathématiques complexes provenant des structures de coquillage.
Ces exemples de projets en cours d’études ou de chantier démontrent que la nature rend de grands services à l’architecture et vice-et-versa. Les architectes contemporains ne construisent plus contre la nature mais bien avec elle comme une alliée indispensable dans la protection des ressources, les services écosystémiques et la préservation de la biodiversité. L’architecture n’est plus inerte mais devient métabolique !
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