Interview Vincent Callebaut : Les Villes De Demain Seront Autosuffisantes
Paris 2018
France
NEWSPAPER : l'Express n°3500
TITLE : «Bienvenue dans les villes du futur»
REPORTER : Jean-Luc Barberi, rédacteur en chef
DATE : August 2018
FROM : Paris
Vincent Callebaut, architecte belge couvre ses tours d’arbres, de potagers, de panneaux solaires et d’éoliennes pour rendre la ville autonome en énergie et capable de nourrir ses habitants. En conjuguant futur urbain et douceur de vivre.
JEAN-LUC BARBERI : En 2050 il y aura neuf milliards d’habitants sur la planète. Plus de cinq milliards habiteront en ville. Comment anticiper cette évolution majeure du mode de vie de l’humanité ?
VINCENT CALLEBAUT : En changeant radicalement nos modèles de développement urbain ! La plupart des cités construites au XXème siècle, se sont développées suivant les règles de La Charte d’Athènes édictées en 1933 par Le Corbusier et le courant architectural Moderniste. Selon cette approche, le citadin vit dans un quartier réservé à sa classe sociale. Il travaille dans un autre. Il fait ses courses et se distrait dans un autre endroit. Et il prend sa voiture pour se déplacer sur les grands axes routiers qui relient tous ces lieux. Il en découle beaucoup de temps perdu dans les transports et des embouteillages monstrueux, responsables de la pollution qui nuit à la santé des habitants et accélèrent le réchauffement de la planète.
JEAN-LUC BARBERI : Dans le futur, faut-il les encourager les citadins à retourner vivre à la campagne ?
VINCENT CALLEBAUT : Au contraire. Il faut arrêter l’expansion des banlieues pavillonnaires et inciter leurs habitants à revenir dans les centres urbains où l’on trouvera le meilleur de la vie à la campagne et tous les avantages de la ville. Ne plus séparer mais rapprocher habitations, services, activités, loisirs pour que les citadins puissent vivre, travailler, se distraire sans avoir à se déplacer sans cesse d’un quartier à l’autre ou rouler des heures pour profiter de la nature.
JEAN-LUC BARBERI : Mais, concentrer la population dans les centre villes, c’est créer de nouveaux flux de transports et d’engorgements.
VINCENT CALLEBAUT : La cité du futur produira elle-même la nourriture et l’énergie dont elle a besoin. Il n’y aura donc plus besoin de la perfuser de l’extérieur à coup d’énergie fossile et de centrale nucléaire. Dans notre projet « Paris 2050 », où l’on imagine ce que pourrait être la Ville Lumière d’ici 35 ans, nous avons montré comment une ville ancienne, sans perdre sa beauté historique, peut produire elle-même l’énergie et l’alimentation dont ont besoin ses habitants. La combinaison des énergies renouvelables (biomasse, solaire, éolien…) et des nouvelles technologies permettront aux nouveaux immeubles parisiens de produire plus d’énergie qu’ils n’en utilisent.
JEAN-LUC BARBERI : Paris intra-muros est l’une des villes les densément peuplées du monde. Comment augmenter le nombre d’habitants sans dégrader la qualité de vie ?
VINCENT CALLEBAUT : A Paris, ce n’est pas la densité d’habitants qui pose un problème mais les embouteillages, les temps de transport et la pollution. Et le manque d’espaces verts. Dans notre projet Paris 2050, nous proposons de construire des tours et de rehausser des bâtiments existants pour créer de nouveaux logements qui accueilleront ceux qui sont rejetés à la périphérie et qui n’auront plus à gaspiller leur temps dans les transports en commun ou dans les embouteillages.
Ces ensembles seront couverts d’arbres, de potagers, de vergers et de terrasses végétalisés porteuses de panneaux solaires et d’éoliennes. Nous réintroduisons la nature dans la ville, et utilisons les solutions qu’elle nous propose. Imaginez Paris qui change de couleur selon les saisons et où les odeurs d’humus, de fleurs et de légumes et où l’on aura tout à proximité de son domicile.
JEAN-LUC BARBERI : Cultiver en ville mais où ?
VINCENT CALLEBAUT : Il y a beaucoup d’espaces disponibles. Ceux qui sont occupés par l’automobile aujourd’hui mais aussi les ponts par exemple que nous voulons rendre habitables. Et encore plus si nous construisons en hauteur ! A partir du concept de ferme verticale inventé par l’architecte américain Dickson DesPommiers, nous avons prouvé avec notre projet « Dragon Fly » qu’il était possible, en plein Manhattan, à New York, d’insérer un immeuble autosuffisant en énergie et en alimentation qui accueille des habitations privées et des bureaux.
Terrasses, balcons et toits offrent de nombreux espaces cultivables pour nourrir les habitants de Dragon Fly, deux tours de 575 mètres de hauteur relié par une serre bio-climatique. Nous avons aussi prévu des étables et des poulaillers pour les animaux. En mélangeant les billes d’argiles et de la terre végétale, on allège le substrat cultivable pour que la structure puisse supporter les cultures en hauteur. De plus l’eau, récupérée en terrasse descend d’étages en étages avant d’être réinjectée dans un nouveau cycle de culture. La biomasse produite par tous les déchets végétaux alimente le circuit d’énergie et de chauffage de l’immeuble.
JEAN-LUC BARBERI : Paris 2050 ou DragonFly ne sont que des projets ... futuristes
VINCENT CALLEBAUT : Mais pas du tout. Des fermes verticales existent déjà à Toronto et Singapour. Nous avons présenté l’Arboricole à Angers, un projet de bio-immeuble maraîcher couvert par plus de 10 000 arbres, plantes et végétaux capable de nourrir ses occupants. Cet ensemble immobilier de 50 logements, autosuffisant en énergie alimenté par le solaire et la géothermie, recycle l’ensemble de ses déchets. A Taïwan, nous construisons une tour sur laquelle pousseront 50 000 arbres absorbant 135 tonnes de carbone rejeté par la pollution automobile chaque année. Dans la banlieue du Caire, nous avons en chantier, « The Gate Heliopolis », un complexe de 450 000 mètres carrés, regroupant commerce, bureaux, qui sera refroidi par neuf cheminées à air. L’air environnant entre à 45 degrés dans neuf cheminées à vent et se refroidit en descendant dans le sol, où la température constante est de 18 degrés . Ce bioclimatisme passif est inspiré du système de refroidissement qui régit les termitières.
La ville s’est aussi construite en protection contre la nature. Dans un futur proche, la montée des eaux provoquée par le réchauffement climatique risque ainsi de noyer des villes entières
Les Pays-Bas ont lutté contre la nature en gagnant par la force des terres contre la mer. Avec le réchauffement climatique, les digues ne suffisent plus pour bloquer les eaux et une partie du pays risque d’être submergé. Les autorités réfléchissent désormais à des projets de quartiers flottants pour s’adapter à cette situation. Dan de nombreux endrits du monde, on peut imaginer des cités entières flottant sur la mer, qui récupèreraient les plastiques qui inondent les océans, les recycleraient pour s’agrandir à partir de ces déchets transformés en matériaux de construction.
JEAN-LUC BARBERI :Selon vous le citadin du futur sera aussi agriculteur, éleveur, producteur d’énergie.
VINCENT CALLEBAUT : Nous pensons que les citoyens des villes sont prêts à se changer en « consom’acteurs ». Le temps gagné sur les déplacements, pourrait être consacré à renforcer la coopération entre voisins pour des potagers collectifs ou des épiceries collaboratives installées sur le toit des nouvelles tours. Je crois que les nouvelles générations sont prêtes à ce changement parce qu’elles aspirent à devenir des citoyens actifs du nouveau monde urbain qui s’annonce.
Vincent Callebaut est un architecte belge de 33 ans. Originaire de la ville belge de La Louvière, il se passionne pour l’horticulture et se destine à une carrière de paysagiste avant de se tourner vers l’architecture. Spécialiste du mixage entre architecture et biotechnologies, il a été consulté par la Mairie de Paris pour imaginer le Paris de 2050. Il travaille avec de nombreux pays comme la Chine, la Corée, Taïwan, l’Egypte ou le Brésil et se tourne de plus en plus vers l’Europe avec des projets au Luxembourg, en Belgique, en Estonie et en France.
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