Interview : Changer La Ville pour Changer Le Monde
Brussels 2017
Belgium
Texte : Maxime Schouppe / Photos : Tom Vandewiele
Il fait la couverture des revues d’architecture les plus prestigieuses, les médias du monde entier parlent de ses projets futuristes, aux noms évocateurs comme Dragonfl y, Wooden Orchids ou encore Perfumed Jungle. Architecte écoresponsable, Vincent Callebaut veut transformer nos villes minérales et énergivores en cités fertiles et nourricières, et les citadins en jardiniers. Ces jours-ci son rêve se réalise à Taipei et au Caire. Demain Paris et Bruxelles ?
Avant de rencontrer un des architectes les plus médiatisés et les plus révolutionnaires de sa génération, on l’imagine dans un vaste bureau tout en blanc rempli de tables à dessiner et de maquettes, avec de grandes baies vitrées offrant des panoramas sans fin sur Paris. C’est oublier que l’architecte du XXIe siècle ne dessine plus ses plans au compas et n’a plus recours au balsa et au bristol pour présenter ses projets. Vincent Callebaut nous reçoit donc dans un bureau sobre et végétalisé, un ancien atelier d’ébénisterie niché dans un îlot urbain voisin de l’Opéra Bastille. Trois longues rangées de bureaux blancs alternant avec des armoires basses noires et un mur couvert de magazines attestant son impact international : il n’en faut pas plus pour changer le monde, avec une dizaine de collaborateurs à Paris et plusieurs autres travaillant sur ses deux premiers chantiers, à Taiwan et en Égypte. Car après un long parcours d’outsider, ce natif de La Louvière (1977) réalise enfin son rêve, celui d’une architecture durable et écoresponsable.
Au cours des dix dernières années, vous vous êtes imposé comme un des principaux apôtres de l’architecture écoresponsable. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Après mes études à l’Institut Victor-Horta de Bruxelles, j’ai travaillé pendant dix ans pour d’autres architectes, afin d’acquérir le bagage technique nécessaire pour la gestion de gros chantiers. Le soir, je concevais à ma table de cuisine mes « projets manifestes » : les villes flottantes, la ferme verticale en pleine ville, les villages antisismiques (voir encadrés) étaient autant des réponses aux questions que personne ne s’était posées jusque-là. Je me suis fait remarquer dans des concours d’idées, puis j’ai été invité aux quatre coins du monde – notamment à l’exposition universelle de Shanghai en 2010 – pour exposer mes idées.
J’ai ensuite été convié à participer à des concours d’architecture et j’ai gagné en 2010 le projet Tao Zhu Yin Yuan à Taipei. En 2013, un promoteur égyptien m’a demandé directement de réaliser le projet The Gate Heliopolis au Caire (voir encadrés).
Comment expliquez-vous votre succès ?
Je m’appuie sur le biomimétisme, c’est-à-dire que je m’inspire des solutions particulièrement efficientes que l’on peut observer dans la nature. En reproduisant la structure d’une feuille de nénuphar ou d’une aile de libellule, j’ai secoué la trousse à outils de l’architecture conventionnelle. De plus, je me suis trouvé en phase avec des décideurs politiques et des promoteurs immobiliers qui sont de ma tranche d’âge. Ils ont eux aussi grandi avec les conférences de l’ONU sur les changements
climatiques.
Qu’est-ce qui fait votre particularité ?
Je suis un optimiste. Il y a dix ans, quand on a vraiment pris conscience que l’homme est responsable du dérèglement climatique, les constats étaient très pessimistes : Al Gore, Nicolas Hulot et d’autres disaient qu’on allait droit dans le mur. Mais moi, j’ai voulu être une force de proposition et démontrer que la ville durable n’était pas une utopie. Dragonfly, le projet d’agriculture urbaine à New York qui prône le circuit court – produire et consommer sa nourriture au même endroit – et l’économie circulaire – produire, consommer et recycler – est ma réponse à la « société du déchet » dans laquelle nous vivons depuis plus d’un demi-siècle, qui repose sur l’obsolescence programmée des objets … et des bâtiments !
Vous parlez de recréer la symbiose entre l’homme et la nature.
Ramener la nature dans la ville. Si on regarde en arrière, on observe que l’homme a construit la ville en excluant la nature. Par la suite, les villes se sont développées en s’étendant à l’horizontale, se compartimentant en quartiers monofonctionnels et repoussant toujours plus la nature. On a construit la ville sur la ville. Nous disons qu’il est temps de construire la nature sur
la ville.
C’est ce que vous préconisez dans votre étude prospective « Paris Smart City 2050 ».
Oui, il s’agit d’une commande publique de la Mairie de Paris. Un projet de recherche et développement visant à réduire de 75 % les émissions de gaz à effet de serre dans les 35 années à venir. Paris – comme Bruxelles – est une des villes les plus densément habitées et « minérales ». Les immeubles haussmanniens sont très énergivores et, en plus, ils réverbèrent de nuit la chaleur qu’ils ont absorbée de jour, créant des « îlots de chaleur urbains ». Il y a un énorme gaspillage d’énergie que l’on peut éliminer en construisant parmi les bâtiments existants des tours végétales à énergie positive. D’abord, la végétation limitera la pollution atmosphérique en absorbant une grande partie du CO2. Et, produisant plus d’énergie qu’elles n’en consomment, ces constructions pourront alimenter en électricité « verte » les édifices énergivores. Certaines de ces tours pourraient également accueillir des fermes verticales à l’instar du Dragonfly, transformant Paris en une véritable « cité fertile ». Le mélange des fonctions rapprochera le lieu de résidence, le lieu de travail et les espaces commerciaux, réduisant sensiblement le coût de la mobilité. Cela permettra d’optimiser la consommation d’énergie, tout en ampli fiant le mieux vivre ensemble.
Vos idées impliquent de grands changements de comportement. À l’échelle de la collectivité.
En effet, cette cité fertile, autosuffisante sur le plan alimentaire et collaborative dans son fonctionnement, se caractérisera par le partage et par une certaine frugalité. À l’image de la forêt vierge, qui ne produit pas de déchets, où tout est réutilisé. Ce futur fait une croix sur le rêve du pavillon individuel. On reviendra à une vie plus communautaire, transgénérationnelle et multiculturelle.
Vos projets sont-ils réalisables ? Ou bien êtes-vous le Jules Verne de l’architecture ?
Les technologies que j’intègre dans mes projets sont d’ores et déjà disponibles et leur application est validée par des bureaux d’ingénieurs. Je ne renie d’ailleurs pas la comparaison avec Jules Verne, qui est une de mes sources d’inspiration. Saviez-vous que pour écrire ses romans il se basait sur les technologies émergentes de son époque ?
Ces projets sont les cartes de visite de Vincent Callebaut, ses plus visionnaires, dans lesquels il incorpore tous les aspects de sa philosophie « Archibiotic ». Propositions spontanées, elles démontrent que de nouveaux modes de vie « écoresponsables » sont possibles, en s’inspirant de solutions trouvées dans la nature et en les combinant avec des technologies disponibles dès aujourd’hui.
LILYPAD : La structure de cette ville flottante, autonome et propre (elle recycle tous ses déchets) est inspirée d’une feuille de nénuphar géant : aussi fine qu’elle soit, une fois posée sur l’eau elle peut supporter le poids d’un enfant en son centre. Imaginée pour apporter une solution de relogement aux habitants de régions menacées d’engloutissement par la hausse du niveau des océans (les Maldives, le Bangladesh, mais aussi le delta du Mississippi ou les Pays-Bas), Lilypad peut suivre les courants marins naturels, ou offrir une alternative écologique à l’extension des littoraux sur la mer (Monaco, Hong Kong, Singapour…).
DRAGONFLY : Cette ferme verticale, destinée à l’agroécologie et à la permaculture, permet de rapatrier une agriculture « 100 % bio » en plein coeur des villes. Tirant son nom de l’aile de libellule, capable de porter cinquante fois son propre poids, elle comporte une tour « agricole » étagée, avec des champs, des vergers, des potagers, des prairies et des fermes, enserrée par des bureaux et des habitations. Économe en énergie grâce à une ventilation naturelle optimisée, elle génère son électricité par la biométhanisation de ses déchets. En organisant la vie de tout un quartier dans l’immeuble, elle limite aussi les déplacements énergivores.
CORAL REEF : Imaginé à la suite du terrible séisme qui a ravagé Haïti en 2010, ce projet manifeste a sans doute le plus de chances d’être érigé un jour, grâce au financement participatif. Il est constitué de mille maisons passives, imbriquées les unes dans les autres comme un Meccano géant inspiré d’un récif corallien. En forme de boîtes en acier et en bois préfabriquées, pré-équipées d’une cuisine et de sanitaires, intégrant les énergies marines renouvelables et ancrées dans une fondation antisismique, ces habitations ne nécessitent pas de raccordement au réseau et apportent une solution de relogement rapide et durable aux populations sinistrées.
HELIOPOLIS AU CAIRE : Une gigantesque oasis de logements et de commerces s’étendant sur 450 000 m2 (plus de 1 000 appartements, dont de somptueux duplex, des bureaux, un hôtel 5 étoiles et un centre commercial). Dans la chaleur accablante de la capitale égyptienne, la facture énergétique est réduite de 75 % par rapport à une construction classique, grâce à des techniques de ventilation parfois ancestrales comme les cheminées à vent (malqafs), déjà connues du temps des pharaons. Le projet, dont l’inauguration est prévue pour 2021, se trouve dans le quartier Heliopolis, créé par un businessman belge – le baron Empain !
LA TOUR TAO ZHU YIN YUAN : Une tour résidentielle absorbant le CO2 grâce aux balcons-jardins sur le pour tour de chaque étage. Flexible de par sa forme inspirée de la double hélice de l’ADN et posée sur un socle antisismique, elle résiste aux tremblements de terre et aux typhons. La torsion dans la façade garantit la discrétion et une vue époustoufl ante. L’absence de murs porteurs permet d’adapter les appartements aux besoins changeants de leurs habitants. Ce prototype a engendré les projets « DNA Towers », 24 tours spiralées à énergie positive en développement à Shanghai, et « Swallow’s Nest », un concept non retenu d’immeuble en forme de ruban de Möbius.
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