Brussels 2016
Belgium
MAGAZINE : Trends Tendances, pages 88-89
TITLE : En vert et contre tout
JOURNALIST : Antoine Moreno
DATE : 13th of October 2016
FROM : Brussels
Il imagine la ville de demain peuplée de gratte-ciel ondulants, bardée de matériaux intelligents et recouverte de verdure. Une utopie à mi-chemin entre «Avatar» et Jules Verne? Non, rétorque l’architecte belge qui construit sa première tour révolutionnaire en ce moment même à Taïwan et projette de métamorphoser Bruxelles.
Depuis un an, il fait toutes les radios, toutes les télés, de TF1 à France 2. Dans le milieu médiatique français, si prisé, tant convoité, le Belge Vincent Callebaut (39 ans) s’est fait modestement un nom. Ou plutôt une image. Celle de l’architecte utopiste qui rêve de bâtir des villes nouvelles où le vert aurait remplacé le gris. Des métropoles envahies par les plantes et les arbres pour absorber les émissions de carbone et contrecarrer le réchauffement climatique.
La fameuse ligne rouge des 2 °C de trop que le visionnaire propose de repousser grâce à des immeubles bardés de matériaux intelligents combinés à des forêts de potagers verticaux et des hectares de plantes suspendues. «Tout ce que je propose est aujourd’hui réalisable. Rapatrier l’agriculture en ville n’est plus une utopie. Ce n’est pas Avatar 2», assure l’ambitieux bâtisseur qui vient de livrer une étude de faisabilité pour métamorphoser le Botanic Center, un bâtiment au centre de Bruxelles. Il projette d’y installer une ferme solaire en forme de chrysalide, capable de produire l’électricité de ses usagers.
Son livre Paris 2050, paru l’an passé chez Michel Lafon, est à l’origine de l’empressement médiatique. Le Belge y imagine, entre autres planches futuristes dignes d’un Jules Verne du 21e siècle, une tour Eiffel cernée par des gratte-ciel verdoyants aux allures de tiges high-tech.
Ses images ont beau avoir été créées de toute pièce par ordinateur, elles sont suffisamment réalistes pour enthousiasmer les uns... et effrayer les autres. Car toucher au patrimoine haussmannien, même virtuellement, tient du crime de lèse-majesté. «Il est vrai que mes propositions sont assez provocatrices», reconnaît avec malice l’architecte installé à Paris depuis une dizaine d’années. Ses locaux sont situés près de la place de la Bastille. Parmi ses voisins, il y a Paul Andreu, éminent confrère de 78 ans, à qui l’on doit l’aéroport de Roissy ou l’Opéra de Pékin. «On se salue quand on se croise mais je ne suis pas sûr qu’il connaisse mon travail», souligne modestement le cadet. On s’étonne de rencontrer l’architecte seul dans ses locaux qui rassemblent d’ordinaire entre 10 et 15 collaborateurs. «Ils ont travaillé comme des fous pendant trois mois alors ils ont droit à un peu de temps libre.» Au milieu de la ruche déserte, où l’on parle en période d’activité une dizaine de langues étrangères, le capitaine est le premier arrivé et le dernier à partir. Fidèle au poste, jusqu’à 16 heures par jour. Il vient de boucler un appel à projet, encore confidentiel, pour Bruxelles – encore – et s’envole prochainement pour Taipei où son premier bâtiment devrait voir bientôt le jour. «Enfin!», lâche cet impatient qui a dû apprendre à ronger son frein.
Son projet de tour hélicoïdale de 25 étages au coeur de la capitale taïwanaise date de
2010. Cette année-là, l’outsider dame le pion aux plus grands, y compris à Zaha Hadid, «starchitecte» et lauréate du Pritzker Prize. Mais les travaux sont repoussés suite au tremblement de terre de Fukushima. Le gagnant doit revoir sa copie pour coller aux nouvelles normes antisismiques. Il faut repartir de zéro. Les mois passent puis les années. Sans se décourager, le maître d’oeuvre multiplie les conférences, remporte un autre concours d’envergure, au Caire, affine son concept de cités fertiles sur terre ou... sous la mer. Le chantier de Taipei est lancé l’an dernier. La charpente est aujourd’hui au deux tiers achevée. De quoi espérer une inauguration d’ici fin 2017. Malgré les remaniements, son concepteur promet que la réalité sera très proche de ce qui a été annoncé. Ce bâtiment résidentiel de 25 étages et 25.000 arbres consommera «50% d’énergie en moins que n’importe quelle tour dans le monde». Le bâtiment torsadé absorbera 150 tonnes de carbone par an. Ennemi de l’angle droit et de ce qu’il appelle «la boîte à chaussures», l’avant-gardiste wallon prône des formes organiques puisées dans la nature. Le monde végétal est un compagnon de longue date pour ce natif de La Louvière, une ville qu’il a vue se détériorer au fil de ses années d’enfance. «Le centre-ville s’est vidé progressivement de ses commerces de proximité. La création d’un mall en périphérie à achever le processus de désertification. On est passé au tout à l’automobile. Cela m’a incité, adolescent, à m’intéresser à l’urbanisme.»
Il se voit alors horticulteur puis, sous l’influence d’un professeur, bifurque vers l’architecture. Le début du cursus à l’institut Victor Horta se révèle ardu pour ce littéraire mais il excelle, déjà, dans le dessin. A la fin de ses études, il décroche une bourse et dépose ses valises à Paris. Par ambition, par désir d’aller voir ailleurs. Il travaille pendant 10 ans en tant qu’architecte free-lance dans plusieurs cabinets en vue, dont celui de Massimiliano Fuksas ou Jakob + MacFarlane tandis que la nuit, dans sa chambre de bonne de 9m2 avec vue sur la tour Eiffel, il élabore sur son écran d’ordinateur ses solutions pour un monde meilleur. «En 2050, nous serons 9 milliards sur Terre dont 65% vivront en zone urbaine. Au lieu d’étendre les villes à l’infini, il faut les repenser sur un mode vertical en intégrant des solutions propres et des énergies renouvelables», martèle-t-il.
Une nouvelle approche de l’éco-conception auquel il donne le nom d’Archibiotic. Le mot-valise figure comme un mantra en lettres géantes sur les murs de ses bureaux. Pour mieux se persuader du bien-fondé de son entreprise? C’est que les critiques à l’égard de son manifeste «green» sont nombreuses. On lui reproche de vendre de la science-fiction tout droit sortie de son imagination et de ses tables traçantes. «Ici, on me prend parfois pour un illuminé, concède l’architecte. Mes propositions sont radicales et peuvent décontenancer mais contrairement à ce que l’on peut penser, elles reposent sur une approche pragmatique, validée par des chercheurs et des ingénieurs de haut niveau.» Et de citer les débuts de la construction au Caire d’une gigantesque résidence verte de 1.000 appartements qu’il a conçue à partir d’un principe de canopée solaire géante. Il y a aussi la réalisation à venir d’un écoquartier en Chine, pays champion toute catégorie des centrales thermiques à charbon aux émissions hautement nocives. «C’est le revers d’une expansion économique récente mais contrairement à l’Europe qui a du mal à se réinventer, la Chine est capable de se projeter dans l’avenir et de se remettre en question.Notre projet de quartier agro-forestier à Kunming va dans ce sens.» Une microgoutte d’eau qui fera bientôt tâche d’huile, Vincent Callebaut en est persuadé. «Je suis quelqu’un d’optimiste. La plupart des gens voient la mondialisation comme un fléau, pour moi c’est une opportunité géniale pour réinventer l’avenir.» Qu’il voit forcément en rose, c’est-à-dire en vert.
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