Paris 2016
France
MAGAZINE : Muze
TITLE : Une Envie de Vert
JOURNALIST : Anne Laure Bovéron
DATE : September 2016
FROM : Paris
Écoquartiers, villes durables, intelligentes… l’imagination des prospecteurs est
sans limites. Les images de l’architecte Vincent Callebaut ouvrent les horizons : quelles sont les pistes à explorer ? Quels projets ont fait leurs preuves ?
Chaque semaine dans le monde, un million de personnes s’installent en ville. Si cette croissance se poursuit sur la même lancée, 70 % des êtres humains devraient être des citadins en 2050, faisant de la question de la ville une priorité mondiale. Ce point est particulièrement préoccupant pour les mégalopoles asiatiques, car l’exode rural massif de ces pays fait redouter l’implosion démographique.
Depuis plus de quinze ans, certaines villes testent déjà les écoquartiers. Vauban, à Fribourg-en-Brigsau, en Allemagne, et Eva Lanxmeer, à Culembourg, aux Pays-Bas, qui datent de la fin des années 1990, font figure de référence en la matière. De semblables initiatives existent au sud de Londres (BedZED, à Hackbrige), à Stockholm et Malmö en Suède ; en France, citons des quartiers de Grenoble, Mulhouse, Rennes ou Auxerre. Des dizaines d’autres projets sont à l’étude. Un grand prix national « Écoquartier » a même été mis en place par le ministère de l’Écologie français.
Élaborés dans une optique de restauration ou d’aménagement d’un quartier, ces espaces de vie tendent à réduire à leur échelle leur empreinte écologique. Ils prennent en compte une foule de facteurs : préservation de l’environnement, production d’énergie, réductions de la consommation énergétique, normes environnementales, ressources locales, limitation des transports polluants…
Partout dans le monde, des milliers de villes sont en transition. C’est-à-dire que la population est engagée dans un mouvement qui vise à pallier les crises climatiques et économiques, et cherche à mettre en place un système résilient, avec des réponses locales aux problèmes rencontrés. Les villes en transition anticipent une vie sans pétrole et veulent réinventer un mode vie. San Francisco recycle 80 % de ses déchets. Son modèle a été répliqué à travers les États-Unis. Copenhague vise l’autonomie énergétique pour 2025, le « sans fossile » pour 2050 et entend étendre ce principe à tout le Danemark. Le vélo est privilégié. La Basse-Autriche a déjà atteint 100 % d’énergies renouvelables ; le Costa Rica, l’île écossaise d’Eigg, l’Uruguay, l’Islande la talonnent. La Norvège espère devenir neutre en carbone d’ici 2030 ; Paris éclaire ses rues et ses bâtiments municipaux avec des énergies 100 % vertes. Les projets se multiplient, de l’île de Sein à l’Éthiopie... Pour faire face à la recrudescence annoncée de la population urbaine et garantir de bonnes conditions de vie aux générations futures, les pays émergents établissent des plans à l’échelle des villes. Cette tâche colossale leur est plus aisée, dans la mesure où ils partent d’un espace vierge, sans histoire, sans patrimoine, sans identité. Tout y est possible. Ces cités ex nihilo sont des smart-city, des villes intelligentes, un terme utilisé pour la première fois en 2005 par Bill Clinton. On compte parmi elles King Abdullah Economic City en Arabie Saoudite, Dubai SmartCity, Songdo en Corée du Sud, Masdar aux Émirats arabes unis, et des dizaines de projets, en Europe, en Amérique du Nord ou encore en Chine, avec Meixi Lake District, Tangshan Bay ou Nanjing Eco High-Tech Island. Songdo est une ville supra-connectée. De l’énergie aux infrastructures, en passant par la gestion de sa consommation de chauffage ou des flux de circulation de la ville, tout est géré par le digital. Le but est de limiter la pollution, notamment les gaz à effet de serre, et d’améliorer la qualité de vie des habitants. Mais la dépendance à la technologie est totale. De plus, le risque d’une surveillance poussée des habitants par le gouvernement plane. L’analyse de la consommation des ménages, de leurs déplacements, est déjà en place. Les motivations des premiers installés dans le quartier s’articulent autour de la santé des enfants, d’un désir de vivre dans un environnement sain et de l’emplacement stratégique de la ville, non loin de l’aéroport de Séoul. Mais loin des 250 000 citadins attendus au lancement du projet et des 65 000 prévus pour 2020, la ville n’accueille pour l’heure qu’environ 20 000 personnes.
Dans ces ensembles urbains, le charme de la ville, son joyeux bazar, a disparu. Masdar, projet à l’ambition démesurée, a poussé au milieu du désert aux Émirats arabes unis. Les premiers travaux ont débuté en 2008 et sont pour le moment inachevés. Près de 13 millions de dollars sont nécessaires pour donner corps à cette cité mirage, cette oasis technologique. La ville se décline en cinq entités, tournées vers un axe prioritaire, et répondant aux besoins des unes et des autres. Les objectifs ? Zéro déchet, zéro carbone. Conçue de façon
à tirer le meilleur des possibilités énergétiques naturelles, la ville futuriste entend également valoriser les énergies renouvelables. Mais là aussi, et davantage encore avec la crise économique qui a fait revoir à la baisse les prétentions des constructeurs, les habitants ne sont pas au rendez-vous. L’écoville demeure une cité laboratoire. Français, l’architecte Vincent Callebaut travaille sur ces sujets. À 38 ans, jeune diplômé au moment du Grenelle de l’environnement, accoutumé depuis ses études aux normes de constructions de haute qualité, il est sensible aux problèmes écologiques. À l’origine, il n’était pas spécialement attiré par les bâtiments intelligents, mais il tente de répondre aux défis de sa génération : réinventer le monde.
Pas de choix pour lui entre villes durables et villes intelligentes, il a opté pour le mariage des deux : « Les dix dernières années, on a parlé de villes durables, des bâtiments intelligents, recyclant leurs déchets, produisant des énergies. Brusquement on est passé à la smart city, digitale, qui consomme énormément. À mes yeux, la ville du futur est plutôt une ville écosystème. » Son cabinet est spécialisé dans les projets sur l’eau, les fermes verticales et les bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en ont besoin.
Il s’appuie sur le biomimétisme (l’étude d’écosystèmes matures), le biomorphisme (l’inspiration des formes de la nature ayant une fonction) et la bionique (l’étude des structures et de l’intelligence des matériaux). Sa ville du futur mixe urbanité et nature nourricière, ville sociale et production énergétique. « Des quartiers mixant fonctions, cultures, niveaux sociaux variés ont des promesses de pérennisation plus forte. L’écologie et le lien social y seront vivaces. » Il passe même du quartier à l’échelle du bâtiment avec le projet Dragonfly. Un immeuble de bureaux et de logements, reliés par un verger, où les productions énergétiques comme le chauffage ou la climatisation dans les bureaux seront redistribués aux logements en soirée.
Les dessins de Vincent Callebaut ont été beaucoup diffusés, notamment ceux liés au projet
Paris Smart City 2050, une commande de la mairie, et son projet Lilypad, une ville flottante pour accueillir les 250 millions de réfugiés climatiques annoncés pour 2050, suite au réchauffement de la planète.
Fort de ces collaborations, Vincent Callebaut propose un regard croisé de l’Europe et des pays émergents. « Souvent, en France, on me demande pourquoi densifier les villes alors que les campagnes se désertifient. Ici, vivre en ville est encore un choix. Mais, en Chine par exemple, le travail manque tellement en campagne qu’elle se vide. » Les études prédisent qu’en 2020, 250 mégalopoles chinoises compteront un million d’habitants et environ 50 villes cinq millions d’habitants. La densification est une véritable problématique et, pour y répondre, la ville s’invente verticale. « C’est la troisième phase d’urbanisation mondiale. Après les
villes construites autour des fleuves, à l’horizontale, après que le tout automobile ait dicté nos comportements, on entre dans la phase verticale, où la nature arrive, où le modèle de la ségrégation géographique entre lieu de vie et lieu de travail disparaît au profit de la ville pédestre. »
Vincent Callebaut perçoit en France, et plus généralement en Europe, une « rupture générationnelle ». Mais l’étiquette de science-fiction collée à ses projets ne lui sied guère. Pour lui, l’enjeu est une critique constructive de l’existant et sa transformation positive. « La conjonction de crises est telle qu’il ne peut apparaître de tout cela qu’un autre modèle. Nos projets de laboratoire et nos projets en chantier veulent montrer qu’il est possible de changer de paradigme aujourd’hui, de construire en osmose avec la nature, de respecter l’environnement tout en mettant en place une économie viable, écoresponsable, partagée, citoyenne, démocratique. » Mais pour l’instant, en Europe et en France, l’architecte bute contre une « schizophrénie » : « On demande principalement aux architectes et aux urbanistes de faire un monde pérenne, relevant du long terme, mais en travaillant avec des politiques à court terme. »
L’Asie et l’Amérique sont des « locomotives » de l’innovation. Mais le retard européen n’est pas une fatalité estime l’architecte. Face aux « bâtiments inertes » Vincent Callebaut et son équipe imaginent des bâtiments capables de fournir l’électricité dont ils ont besoin, de recycler leurs déchets et composés d’espaces verts productifs. Avec le projet Paris Smart City 2050, le cabinet a voulu montrer « que l’on peut mixer le patrimoine existant, sans rien détruire, avec une architecture contemporaine palliant les désavantages des constructions historiques. Les déperditions thermiques sont énormes dans les immeubles haussmanniens. Nous appelons cela la solidarité énergétique : les bâtiments vont ensemble moyenner leur empreinte carbone et faire en sorte que Paris soit aussi une ville intelligente. Cela n’est pas réservé aux pays émergents. » Marquées par leur patrimoine, les villes européennes sont, finalement, un peu paralysées par la tradition.
Depuis trois ans, Vincent Callebaut perçoit néanmoins un effritement de l’hyper pragmatisme contre lequel il butait. Dans toutes les disciplines, il constate un mouvement. « Les générations précédentes ont construit un modèle et, en fin de parcours, elles réalisent qu’il n’est pas pérenne, qu’il a tout détraqué. Légitimement, ils ont du mal à l’assumer et n’ont plus le temps et les moyens de dessiner un nouveau système économique. C’est à nous maintenant de bâtir de nouveaux modèles. » Le cabinet collabore avec des universités, des ingénieurs, et déniche des technologies émergentes en cours de commercialisation. « On spécule sur les technologies, un peu comme Jules Verne en somme. » En se basant sur les premières expériences de vie à Masdar, où les étudiants surconsommaient et ne prenaient pas en compte la technologie devant limiter les dépenses d’énergie, l’architecte en a conclu que les architectes doivent « essayer d’induire des comportements écoresponsables chez les futurs habitants » de ce type de constructions. Un comportement civique, un état d’esprit, des comportements intelligents paraissent indispensables, car, sans cela, les avantages de ces innovations se perdent. Construire la ville du futur, c’est aussi construire la société du futur, l’éduquer.
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