BRUSSELS 2016
BELGIUM
MAGAZINE : La Libre Belgique
TITLE : Interview of Vincent Callebaut Architect
JOURNALIST : Sophie Devillers
DATE : January 2016
FROM : Brussels
Elles seront vertes, denses, connectées et durables. Mon leitmotiv, c’est les “cités fertiles”, des villes résilientes face au réchauffement climatique. L’idée est de ramener les forêts au cœur de la ville. Cela baisserait la température de 2 à 4 degrés dans les villes. On évite ainsi “l’effet d’îlot de chaleur”, qui emprisonne les gaz à effet de serre. Dans une ville comme Paris ou Bruxelles, tout est minéral (bâtiments, trottoirs…), tout cela emmagasine la chaleur pendant la journée et la restitue pendant la nuit… L’idée c’est de rapatrier les végétaux au cœur de la ville. Pas seulement de façon cosmétique, en végétalisant les murs par exemple, mais en repensant un vrai milieu agricole urbain, en rapatriant l’agriculture dans les villes, via des fermes urbaines verticales, des potagers étagés.
La ville sera alors à la fois productrice et consommatrice.
Vous êtes un ardent défenseur des tours…
En effet, je n’ai jamais dessiné de maison individuelle! Depuis l’après-guerre, les villes se sont construites sur un modèle d’étalement horizontal, en pâte à crêpe, à partir d’un centre historique. Les villes ont été dessinées en fonction de la voiture. On a vendu aux navetteurs l’idée de la maison 4 façades avec leur jardin en dehors des villes. Mais notre idée est d’avoir des tours en ville où le bâtiment est lui-même un jardin, et aussi de mélanger les fonctions dans un quartier. Une ville densifiée fait aussi des économies d’énergie. Un appartement consomme trois fois moins qu’une quatre façades!
La ville du futur sera aussi intelligente, dotée d’un système nerveux qui informatise la ville: feux rouges, éclairage… Comme de la domotique, mais pour la ville.
Cela permettra aussi la décentralisation énergétique. Les bâtiments produiront 100% de leur énergie, voire bien plus, via leur propre ferme éolienne ou d’autres systèmes d’énergie renouvelable.
Il n’y a jamais d’angles droits dans vos bâtiments. Pourquoi?
Car l’angle droit n’existe pas dans la nature! Pour notre confort, on se sent mieux dans des formes voluptueuses, maternelles... Mon architecture est “organique”. Elle s’inspire des formes de la nature. Par exemple, je me suis inspiré du coquillage pour des bâtiments en Chine.
Mon architecture est aussi inspirée des structures, des processus de fabrication des matériaux dans la nature. Pour ma ville flottante Lilypad, je suis parti du réseau de nervures au revers d’un nénuphar capable de continuer à flotter sous le poids d’un humain. Enfin, je souhaite que mes bâtiments produisent leur propre énergie, recyclent les déchets, fonctionnent en cycle fermée, comme l’écosystème d’une forêt amazonienne, par exemple.
Un tiers des projets imaginés par Vincent Callebaut est en chantier. C’est peu, admet-il. Les autres, même s’ils ont souvent été primés, resteront au stade de manifeste ou de plans. Mais l’architecte belge insiste : si ses projets peuvent sembler futuristes, toute l’ingénierie derrière ceux-ci est déjà réalité. Il est à l’affût de toutes les nouvelles découvertes en chimie verte, en sciences des matériaux… Et travaille ensuite en collaboration avec ces chercheurs innovants. Les pays émergents comme la Chine sont les plus sensibles à son côté visionnaire, davantage que la vieille Europe. Vincent Callebaut, qui travaille surtout “à la demande”, sur concours, n’a en tous cas jamais œuvré pour la capitale belge. “Dans notre société, il n’y a plus de vision, plus de rêve. Rêver, c’est mal, c’est obsolète !” regrette-il.
“Bruxelles fonctionne par micro-coups de pinceau, mais il n’y a pas de vision plus générale.” Lui a néanmoins “plein d’idées”. “Il y a beaucoup de choses à faire pour un architecte à Bruxelles”, surtout pour lui “qui aime s’occuper des dents creuses”. Sélection de quatre lieux bruxellois qui l’inspirent particulièrement.
1. Le canal
Il avait imaginé sa revitalisation durant ses études. “Je n’ai jamais compris cela: toutes les villes européennes comme Budapest, Paris ou Amsterdamont leur plus beau quartier autour du cours d’eau. Bruxelles, elle, a enterré son cours d’eau! Quand au canal proprement dit, entreMolenbeek et le Bruxelles historique, il est à moins cinqmètres de profondeur. Il faudraitmettre ce cordon, cette artère bleue en valeur, réaménager les berges, que les gens du quartier Nord soient en contact avec l’eau. Ce serait génial !Mon idée pour le canal ? Placer une écluse place Sainctelette pour remonter le niveau de l’eau, et refaire de cette zone une trame bleue, une trame végétale au coeur de la ville. Placer aussi plusieurs tours végétalisées. Une seule tour, isolée, comme cela a été fait dans cette zone, c’est moche!” Ce faisant, on favoriserait aussi, selon lui, le lien de la zone avec le reste des quartiers bruxellois.
2. La petite ceinture stimule aussi son imagination
“Le problème de la Bruxellisation, c’est qu’on a créé des quartiers monofonctionnels : le quartier européen de bureaux, le centre-ville… Bruxelles est aussi le contraire de Paris: les pauvres dans la ville, les riches à l’extérieur. Je voudrais changer tout cela! En faire une ville durable, dense, verte, connectée.” Transformer le canal permettrait de réinvestir la petite ceinture. “C’est un étranglement qui sépare le centre historique des quartiers extérieurs, le long duquel on a rasé tous les arbres! Où on a exterminé la nature! Moi, je placerais une tour de logement végétalisée à chaque porte de Bruxelles (Namur, Hal…). Cela transformerait la petite ceinture en une forêt urbaine végétalisée. On pourrait aussi rénover les bâtiments historiques (en leur offrant une “couche” en plus,). Et placer des tours multifonctionnelles, où on pourrait ‘greffer’ de petits appartements qui permettraient
un Bruxelles ‘social’.
3. La cité administrative
“Elle flotte. C’est comme si on avait posé ma ville flottante (Lilypad) au milieu de Bruxelles. Là aussi, cela crée une grande cassure dans Bruxelles. Pour retisser un lien entre le boulevard Pachéco et la rue Haute, je casserais cette énorme dalle de béton. On pourrait replacer des marches, comme au Mont des Arts.”
4. La gare du Midi
Pour lui, les gares doivent être des lieux de logements mais aussi de bureaux et d’hôtels. Il se verrait très bien densifier dans ce but les abords de la gare du Midi, via une “mangrove urbaine” de tours. L’énergie serait produite sur place, grâce entre autres à des dalles piézoélectriques, transformant les pas des visiteurs en énergie.
Dans son nouvel ouvrage, l’architecte belge Vincent Callebaut imagine les villes de 2050. Ce fervent défenseur d’une architecture durable et audacieuse, basé à Paris et qui travaille dans le monde entier, s’est prêté au jeu pour Bruxelles. Sa capitale de rêve sera une “cité fertile”.
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