PARIS 2015
FRANCE
MAGAZINE : Paris Match
TITLE : Vincent Callebaut, Architecte Vert : « Les Cites du Futur seront Verticales et Végétales... »
JOURNALIST : Romain Clergeat
DATE : February 2016
FROM : Paris
Vincent Callebaut. C’est le grand défi de demain. Les villes sont responsables, pour deux tiers, des émissions de gaz à effet de serre. Il faut donc les adapter pour une population toujours grandissante et leur assurer un développement à la fois économique et écologique. En Chine, en 2020, il y aura 250 villes de la taille de Paris. C’est donc de ce pays que sont venues les premières innovations, par nécessité, et plus globalement le concept de ville intelligente.
Il y a les villes construites ex nihilo, comme Masdar, à Abu Dhabi, ou Songdo, en Corée du Sud, très bien adaptées car sorties d’une page blanche. Dans les villes traditionnelles, je citerai Singapour, limitée sur le plan de l’espace, mais qui a réussi à mettre en place une “trame verte”. La ville est construite comme un échiquier. Une case est urbanisée, puis une autre est laissée au végétal et à la biodiversité, assurant ainsi la symbiose entre l’environnement et le bâti. Ils ont réussi à mettre en pratique ce que beaucoup de villes commencent seulement à envisager en théorie. A l’inverse, dans une ville comme Le Caire, avec 25 millions d’habitants, 60 % du bâti est construit sans permis. Inimaginable pour nous, Européens ! Mais c’est leur réalité. Cela donne une ville chaotique, très énergivore et où tous les déchets produits sont très mal gérés. Ces grands centres qu’il faudra adapter seront vraiment le grand challenge du XXIe siècle.
Il y a un paradoxe, car ils ne souhaitent pas forcément de normes internationales contraignantes. En revanche, ils sont moteurs de l’innovation. En raison d’une croissance économique solide, d’une démographie forte et, donc, d’une urgence à se réinventer. C’est là-bas que l’on verra naître les premières vraies villes 2.0. La convergence entre les énergies renouvelables et Internet pour aboutir à une cité écosystème, telle une forêt tropicale : une ville capable de produire son énergie via des procédés imitant la photosynthèse naturelle, comme le fait l’arbre d’une canopée de la forêt amazonienne, et un écosystème apte à recycler les déchets en les transformant en source d’énergie calorifque ou électrique.
On me demande souvent : “Pourquoi réussis-tu à embarquer des énergies renouvelables sur des bâtiments à l’étranger, mais pas en France ?” C’est en raison d’un “business model” ancien. En France, on calcule le coût d’une construction à partir de son prix de livraison. En intégrant les énergies renouvelables, on est de 20 à 30 % plus cher. Mais, si l’on voit que sur dix ans on fera des économies d’énergie allant de 50 à 100 %, et si l’on en tient compte dans le budget, cela change tout ! Il faut placer le curseur de temps un peu plus loin et ne pas voir à court terme. On dit qu’il existe 100 000 matériaux à la disposition des ingénieurs pour bâtir des immeubles. Quel pourcentage devrait être éliminé dans une perspective environnementale saine ? Pour construire la ville, on pollue à 70 % la planète. Le béton et l’acier sont deux matériaux extrêmement énergivores à produire ; donc, ils rejettent beaucoup de CO2. On essaie aujourd’hui d’adopter des matériaux composites ou biosourcés comme le bois. Le bois stocke le CO2. L’acier produit du CO2. Si l’on travaille en prenant soin de renouveler ce qu’on prélève, c’est vraiment une piste intéressante. Des matériaux bioluminescents, imitant les processus lumineux de certaines méduses ou lucioles, pourraient éclairer les villes. On est en train d’industrialiser ces techniques pour abolir du dictionnaire urbain les mots “pollution” et “déchet”.
Nos villes européennes, avec un patrimoine urbain fort, vont mettre plus de temps que les villes “nouvelles”. Prenons les bâtiments haussmanniens de Paris. On ne peut pas les isoler de l’extérieur. Ils auront toujours un coefficient thermique plus faible qu’une construction nouvelle. Il faut donc mixer de nouvelles constructions à énergie positive et améliorer le bilan des bâtiments existants.
Dans notre projet pour Paris 2050, nous avons imaginé, par exemple, une tour Montparnasse recouverte d’une façade en bioréacteur d’algues vertes, capables de se nourrir de déchets pour produire de l’énergie. Chaque jour, 750 000 passagers empruntent les quais de la gare du Nord. En recouvrir chaque mètre carré de dalles à sustentation magnétique créerait de l’électricité à chaque pas et, ainsi, rendrait le Xe arrondissement à 270 % positif en énergie. Donc autosuffsant et capable, grâce à un réseau électrique intelligent, de transmettre 170 % de son énergie vers d’autres quartiers de la ville qui en manqueraient. Une autre solution pérenne consisterait à rapatrier l’agriculture au coeur de la ville en aménageant des toitures en potagers urbains pour aboutir à une logique simple : consommer sur place ce qui est produit sur place, et pas à des milliers de kilomètres.
C’est le concept de l’îlot de chaleur urbain typique à Paris, mais aussi dans beaucoup de grandes villes construites en pierre. Les façades, les routes, les trottoirs absorbent la chaleur en journée et la rejettent la nuit. Du coup, la température de la nuit ne se rafraîchit plus. S’ensuivent des phénomènes de microcanicule urbaine. Pour les modifier, l’idée est de végétaliser davantage pour permettre au “vert” d’absorber de la chaleur, mais aussi par évaporation, de rejeter de la fraîcheur. De même, Paris est une ville imperméable, avec ses kilomètres de béton et de pierre. Il faudrait la rendre perméable pour lui permettre de boire l’eau de pluie et favoriser sa rétention pour l’utiliser. La végétalisation de la ville, ce n’est pas un effet bobo pour rendre la ville plus “jolie”. Ce n’est pas de la cosmétique architecturale.
Il s’agit de créer des villes nourricières, des bâtiments quasi comestibles par l’intégration de l’agriculture urbaine.
Il ne faut surtout pas faire table rase, mais il est normal qu’une ville évolue et s’ancre dans son époque. Il serait malvenu de mettre Paris sous une cloche et de le rendre intouchable. Si l’on fait de la ville un musée à ciel ouvert, on va en faire un espace sans vie. Aujourd’hui, quand on a deux enfants, on doit quitter Paris car cela devient trop cher. Je pense qu’il est plus intéressant d’imaginer de densifier Paris en abolissant les frontières entre l’intra-muros et le Grand Paris.
Plus une ville est étendue, plus elle consomme d’énergie. On met deux heures de transport pour aller de son pavillon de banlieue à son lieu de travail en pleine ville. En outre, une maison individuelle est plus énergivore à isoler qu’un appartement protégé par les habitations voisines. Donc, oui, je prône le village vertical où l’on bénéficie de tous les services et des loisirs, en consommant moins d’énergie et en retrouvant un esprit de quartier à l’échelle de la ville. Nous avons un projet au Caire : The Gate Residence, un îlot qui ressemble à un quartier de Paris ; 250 mètres de côté, 40 mètres de hauteur, avec seulement 66 % de surface construite. Restent 34 % de surface verte. Il y aura 1 000 appartements, et le toit sera transformé en immense potager communautaire. Ce jardin est recouvert d’une canopée solaire permettant de produire l’énergie pour éclairer les parties communes. En outre, on a remis au goût du jour une technologie permettant de faire passer l’air chaud (parfois 45 °C) sous terre, où l’inertie thermique est constante à 18 °C. Ainsi, l’air est refroidi naturellement et permet, dans un pays extrêmement chaud, de se passer de climatisation mécanique.
Il y a dix ans, je vous aurais répondu non. On nous commandait des études davantage à des fins de marketing. Je fais partie d’une génération d’architectes qui a appris son métier avec des normes élevées de qualité environnementale. Les ingénieurs, les économistes, tous les grands décideurs actuels aussi. Comme moi, ils ne veulent pas lancer des projets “à la papa” mais faire autrement. Nous arrivons à un moment clé où l’ensemble des acteurs du secteur veut réellement passer à l’action. Il ne s’agit plus de penser la ville différemment, mais de la construire autrement. Dès maintenant.
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