Brussels 2008
Belgium
DATE : 17th April 2008
TYPE : Journal Le Soir
TITLE : "Dessines-moi 2058",cover + p.8
REDACTOR : Daniel Couvreur
LINKS : www.lesoir.be
2058, une marée humaine d’éco-réfugiés
Suite à l’activité anthropique, le climat se réchauffe et le niveau des océans augmente ! Suivant le principe d’Archimède et contrairement aux idées reçues, la fonte de la banquise Arctique ne changera rien à la montée des eaux, tout comme un glaçon fondant dans un verre d'eau ne fait pas monter le niveau de celle-ci. Par contre, il existe deux grands réservoirs de glaces qui ne sont pas sur l'eau et dont la fonte va engendrer un transfert de leur volume vers les océans, entrainant leur montée. Il s’agit des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland d’une part et des glaciers continentaux d’autre part. Une autre raison de la montée des océans, qui n'a rien à voir avec la fonte des glaces, est la dilatation de l'eau sous l'effet de la température.
Selon les estimations les moins alarmantes du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat), le niveau des océans devrait monter de 20 à 90 cm au cours du XXIe siècle – avec un statu quo à 50 cm (versus 10 cm au XXe siècle). La scène scientifique internationale estime qu'une élévation de température de 1°C aura comme conséquence une monté de l'eau de 1 mètre. Cette hausse de 1 m entraînerait des pertes de terres émergées d'environ 0,05.% en Uruguay, 1 % en Égypte, 6 % aux Pays-Bas, 17,5 % au Bangladesh et jusqu'à 80 % environ dans l'atoll Majuro en Océanie (îles Marshall, Kiribati et peu à peu les îles Maldives).
Si le premier mètre n’est déjà pas très drôle avec plus de 50 millions de personnes affectées dans les pays en développement, la situation se corse à partir du second. Des pays comme le Viêt-Nam, l’Égypte, le Bengladesh, la Guyane ou les Bahamas verront leurs lieux les plus peuplés inondés à chaque crue et leurs terres les plus fertiles dévastées par la salinisation altérant les écosystèmes locaux. New York, Bombay, Calcutta, Hô Chi Minh-Ville, Shanghai, Miami, Lagos, Abidjan, Djakarta, Alexandrie… Pas moins de 250 millions de réfugiés climatiques et 9 % du PIB mondial menacé si l’on ne bâtit pas des protections à la hauteur de la menace. C’est la démonstration infligée aux esprits rétissants par une étude climatologique de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) et qui défie notre imaginaire d’éco-conception !
La montée des eaux ne figurant même pas à l'agenda du Grenelle de l’Environnement en France, il est primordial, en terme de crise environnementale et d’exode climatique, de passer dés aujourd’hui d’une stratégie de réaction dans l’urgence à une stratégie d’adaptation et d’anticipation durable. Il est étonnant, alors que certaines îles préparent leur disparition, de voir que la gestion de la montée du niveau des océans ne semble pas inquiéter les gouvernements outre mesure. Encore plus étonnant de constater que les populations des pays développés continuent à se ruer sur le littoral, à y construire des quartiers ; des maisons et des immeubles, voués à une inondation certaine.
Lilypad, un prototype de ville amphibie auto-suffisante
Alors que les Pays-Bas et les Emirats Arabes Unis «engraissent» leur plage à coup de milliards d’Euros pour construire leurs polders éphémères et leurs digues protectrices pour une décennie, le projet «Lilypad» se présente comme une solution soutenable à la montée des eaux ! En effet, face à la crise écologique mondiale, cette Ecopolis flottante a pour double-objectif non seulement d’étendre viablement en offshore les territoires des pays les plus développés comme par exemple la Principauté de Monaco mais surtout de garantir l’habitat aux futurs réfugiés climatiques des prochains territoires ultra-marins submergés comme les atolls polynésiens. Nouveau prototype biotechnologique de résilience écologique voué au nomadisme et à l’écologie urbaine en mer, Lilypad voyage en flottaison sur les océans, de l’équateur vers les pôles, en suivant les courants marins de surface, ascendants chauds du Gulf Stream ou descendants froids du Labrador.
C’’est une véritable ville amphibienne, mi-aquatique et mi-terrestre, pouvant abriter plus de 50.000 habitants et invitant la biodiversité à développer sa faune et sa flore autour d’un lagon central d’eau douce récoltant et épurant les eaux de pluies. Ce lagon artificiel est complètement immergé lestant ainsi la ville et il permet de vivre au cœur des profondeurs subaquatiques. La programmation multifonctionnelle s’articule autour de trois marinas et de trois montagnes dédiées respectivement au travail, au commerce et aux loisirs. Le tout est recouvert d’une strate de logements végétalisés en jardins suspendus et traversée par un réseau de rues et de traboules au tracé organique. Le but est d’instaurer une coexistence harmonieuse du couple Homme/Nature et d’explorer de nouveaux modes d’habiter la mer en construisant avec fluidité des espaces collectifs de proximité , des espaces d’inclusion sociale agréables et propices à la rencontre de tous les habitants – autochtones ou allochtones, habitants récents ou anciens, jeunes ou âgés.
La structure flottante en « branches » de l’Ecopolis est directement inspirée de la feuille fortement nervurée du nénuphar géant d’Amazonie Victoria Regia agrandie 250 fois. De la famille des Nymphéacées, cette plante aquatique à la plasticité exceptionnelle fut découverte par le botaniste allemand Thaddeaus Haenke et dédié à la reine Victoria d’Angleterre au XIX ème siècle. La double coque quant à elle est constituée de fibres de polyester recouverte d’une couche de dioxyde de titane (TiO2) sous forme anatase, qui en réagissant aux rayons ultra-violets, permettent d’absorber la pollution atmosphérique par effet photocatalytique. Totalement autosuffisante, Lilypad relève ainsi les quatre principaux défis lancés par l’OCDE en mars 2008 : climat, biodiversité, eau et santé. Elle atteint un bilan énergétique positif à émission de carbone zéro par l’intégration de toutes les énergies renouvelables (énergies solaires thermique et photovoltaïque, énergie éolienne, énergie hydraulique, maréthermique, marémotrice, osmotique, phyto-épuration, biomasse) produisant ainsi durablement plus d’énergie qu’elle n’en consomme ! Véritable biotope intégralement recyclable, cette Ecopolis flottante tend ainsi vers l’éco-compatibilité positive du bâti au sein des écosystèmes océaniques en produisant lui-même de l’oxygène et de l’électricité, en recyclant le CO2 et les déchets, en épurant et en adoucissant biologiquement les eaux usées, et en intégrant des niches écologiques, des champs d’aquaculture et des corridors biotiques sur et sous sa coque pour subvenir à ses propres besoins alimentaires.
Pour répondre à la mutation des flux migratoires engendrés par les facteurs hydro-climatiques, Lilypad rejoint donc, sur le mode de l’anticipation propre à la littérature vernienne, la possibilité alternative d’une Ecopolis flottante multiculturelle dont le métabolisme serait en symbiose parfaite avec les cycles de la nature. Ce sera l’un des enjeux majeurs du XXIème siècle de mettre en place une convention internationale inventant de nouveaux moyens spatiaux pour abriter les migrants environnementaux tout en reconnaissant leurs droits et obligations. Challenge politique et social, le développement durable urbain doit, plus que jamais, rentrer internationalement en résonnance avec le développement durable humain !
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